The City of Absurdity David Lynch
Interviews & Articles
LA LEÇON DE CINEMA DE DAVID LYNCH

David Lynch
Following is an interview edited and introduced by Laurent Tirard for the French movie magazine Studio, issue #118 January 1997. I haven't yet found the time to translate the article, so you ought to know a little French to read and understand it - It's not necessary to know French if you only want to read it ;-).

PAR LAURENT TIRARD

David Lynch est sans aucun doute l'un des réalisateurs les plus anticonventionnels - et des plus talentueux -qui soient. C'est pourquoi nous avons pensé qu'il ferait un excellent professeur de cinéma. Alors que sort son nouveau film, Lost Highway, nous lui avons demandé de prendre place au tableau noir de notre cours privé. I1 a beau affirmer n'avoir aucun talent pour l'enseignement, ses idées, ses théories et ses conseils en matière de mise en scène sont une fabuleuse source d'inspiration et de réflexion - pour ceux qui veulent faire des films, mais aussi pour ceux qui veulent les comprendre.
Laurent Tirard

«On ne m'a jamais proposé d'enseigner le cinéma, et ca ne m'a jamais vraiment tenté non plus, parce que je ne serais sans doute pas un très bon professeur. Enseigner est un art en soi, et très peu de personnes possèdent ce don. Je ne suis pas très calé en histoire du cinéma et je n'ai pas de talent d'orateur, alors je vois mal ce que je pourrais dire à mes élèves, si ce n est de prendre une caméra et d'aller filmer. Après tout, c'est comme ça hue moi j'ai appris. Au début, je voulais être peintre. Mais pendant mes études d'art plastique, j ai tourné un petit film d'animation afin de le projeter en boucle - c'est-à-dire de façon ininterrompue -sur un écran sculpté. C était un projet expérimental, qui donnait l'impression d'une sorte de peinture vivante. Un type a vu ça et m a donné de l'argent afin d'en faire une autre, pour qu'il l'expose chez lui. Comme les premiers tests n'étaient pas concluants, il m'a dit: "Ce n est pas grave, garde l'argent et tourne ce que tu veux." Alors, j'ai fait un court métrage, qui m'a valu d'obtenir une bourse et de travailler sur Eraserhead. Je n'ai pris qu'un seul cours de cinéma dans ma vie, avec un professeur qui s'appelait Frank Daniel. C était un cours d'analyse, dans lequel il montrait des films aux élèves en leur demandant de ne se concentrer que sur un seul élément la photo, le son, la musique, le jeu des acteurs... Après, on discutait de l'utilisation de cet élément particulier dans le film, on comparait nos notes et on découvrait des tas de choses incroyables. C'était fascinant. Mais ça fonctionnait parce que Frank, comme tous les grands professeurs, avait cette capacité d'inspirer ses élèves, de les passionner pour le sujet. Mais je ne pense pas avoir, moi, cette qualité.

MES REFERENCES

Si quelqu'un me demandait quels sont les films qui, pour moi, représentent les exemples les plus brillants de ce qui peut être fait en matière de mise en scène, je crois que j'en choisirais quatre. Tout d'abord 8 1/2, pour montrer comment Fellini est parvenu à obtenir au cinéma le même résultat que certains artistes en peinture abstraite, c'est-à-dire savoir communiquer une émotion, sans jamais rien dire ni montrer de façon directe, sans jamais rien expliquer, presque comme par magie. Ensuite, je montrerais Sunset Boulevard, un peu pour les mêmes raisons. Car si le style de Billy Wilder n'est pas comparable à celui de Fellini, il obtient un résultat à peu près similaire, en créant une sorte d'ambiance abstraite, moins par pure magie que par toutes sortes d'inventions stylistiques et techniques. Le Hollywood qu'il nous décrit dans ce film n'a sans doute jamais existé, mais il arrive à nous y faire croire totalement et à nous y faire pénétrer, un peu comme dans un rêve. Après, je montrerais Les vacances de M. Hulot, pour l'incroyable regard que Tati portait sur la société. On voit, dans ses films, à quel point il avait une connaissance approfondie - et un véritable amour - de être humain, et on ne peut qu'apprendre à en faire autant. Enfin, je montrerais Rear Window, pour la façon brillante dont Hitchcock parvient à créer - ou à recréer - un véritable univers dans cette cour d'immeuble. James Stewart ne quitte pas son fauteuil durant tout le film, et malgré ça, on suit, de son point de vue, une incroyable histoire de meurtre. Ce film, c'est l'art de condenser quelque chose d'énorme et de le faire rentrer dans quelque chose qui paraît minuscule. uniquement Dar la maîtrise totale de l'image.

RESTER FIDELE A SON IDEE DE DEPART

Au départ de chaque film, il y a une idée. Elle peut venir n importe où, n'importe quand en regardant les gens dans la rue ou bien en réfléchissant tout seul chez soi. Parfois, elle peut mettre des années à venir. J'ai connu, comme ça, de longues périodes sans inspiration et - qui sait ? - il se passera peut-être cinq ans avant que j'aie une autre idée de film qui me plaise. Mais il ne faut pas paniquer, il suffit d'être patient. Le tout est de trouver cette idée de départ, cette étincelle, et après, c'est comme à la pêche vous utilisez cette idée comme un appât, et elle attire tout le reste. Quoi qu'il en soit, le plus important pour un metteur en scène, la priorité numéro un, c'est de toujours rester fidèle à cette idée de départ. Les obstacles sont nombreux et le temps efface beaucoup de choses, mais un film n'est pas fini tant qu'il reste une image à coller ou un son à mixer, et chaque petite décision compte. Chaque élément peut vous faire avancer un peu plus ou, au contraire, vous faire dérailler. Il faut, à la fois, être ouvert aux idées nouvelles, et, en même temps, garder un œil constant sur son idée de départ. Elle est un peu comme un mètre-étalon, à partir duquel on peut tester la viabilité et la conformité de chaque nouvel apport.

LE BESOIN D'EXPERIMENTER

Je crois qu'un metteur en scène a besoin de trouver le moyen de penser à la fois avec son cerveau et son cœur, d'allier constamment l'intellect et l'émotion dans son processus de décision. Raconter une histoire est, certes, quelque chose d'essentiel, mais les histoires qui me plaisent sont celles qui détiennent une certaine part d'abstraction, qui sont plus intuitives que cérébrales. Le vrai pouvoir du cinéma, pour moi, ne réside pas dans le simple fait de raconter une histoire, mais plutôt dans la façon dont on la raconte, dans la capacité que l'on a à créer un monde, une atmosphère ou une sensation dans lesquels le spectateur se retrouve immergé. Quand Godard parle du visible et de l'invisible, c'est exactement ça: le cinéma a le pouvoir de dépeindre l'invisible. Il peut vous donner la sensation de l'invisible ou fonctionner comme une fenêtre à travers laquelle vous pénétrez dans un autre monde, comme dans un rêve. Selon moi, le cinéma a ce pouvoir parce que, contrairement à certains autres arts, il implique, dans son fonctionnement, une évolution temporelle. C'est comme en musique: vous commencez quelque part, puis, lentement, vous construisez note par note, et, au bout d'un moment, vous allez atteindre une note qui vous fera vibrer de manière particulière, mais ce sera uniquement grâce à toutes les autres notes qui l'ont précédée, et la façon dont vous les avez orchestrées. Or, il est difficile d'atteindre ce résultat en suivant les règles établies, et c'est pourquoi je pense qu'il est très important d'être ouvert à l'expérimentation. J'ai expérimenté sur tous mes films (mon rêve reste encore de tourner un film entièrement à l'envers) et, souvent, je fais des erreurs. Avec un peu de chance, je m'en rends compte à temps, et je corrige avant que le film soit fini. Sinon, ça me sert de leçon pour le suivant. Mais parfois, I'expérimentation me permet de découvrir, par accident ou même par erreur, quelque chose de merveilleux et de magique que je n'aurais jamais pu ni imaginer ni prévoir. Et la gratification d'un moment comme ça, remplace rapidement la frustration de toutes les choses ratées.

LE POUVOIR DU SON

J'ai découvert le pouvoir du son dès le début. Lorsque j'ai fait cette "peinture vivante", avec le projecteur qui passait un film en boucle, il y avait le hurlement d'une sirène qui . passait également en boucle par-dessus. Depuis ce moment, j'ai toujours considéré que le son représentait la moitié de l'efficacité du film. Il y a l'image d'un côté, le son de l'autre, et, si vous savez comment les allier correctement, alors, I'ensemble est bien plus fort que la somme des deux. L'image repose sur toutes sortes d'éléments fragiles et volatiles (la lumière, le cadrage, le jeu des acteurs, etc.), mais le son - dans lequel j inclus bien sûr la musique - est une sorte d'entité solide et puissante, qui vient physiquement habiter le film, qui s'y installe comme quelqu'un s'installe dans une maison. Bien entendu, il faut trouver le bon son, ce qui implique pas mal de discussions, d'essais et d'expérimentations. Je viens de faire construire un studio d'enregistrement juste à côté de chez moi, dont le but sera - pour moi et pour tous ceux qui le souhaitent - de faire des expériences sur le son. Peu de réalisateurs arrivent à vraiment utiliser cet élément au-delà de son aspect fonctionnel.

C est en grande partie dû au fait que l'on ne se soucie généralement du son qu'après le tournage. Or, les délais de post-production sont souvent tellement réduits que l'on n'a pas le temps d'essayer quoi que ce soit d'intéressant, ni avec l'ingénieur du son, ni avec le compositeur. C est pourquoi, depuis quelque temps - depuis Blue Velvet, je crois -j essaie de faire la plus grande partie de ce travail avant le tournage. Je discute de l'histoire avec mon ingénieur du son (Alan Splat et mon compositeur (Angelo Badalamenti), et ils enregistrent toutes sortes d'effets sonores et de morceaux de musique que je me passe pendant que je tourne les scènes, soit sur écouteurs - lorsque l'on tourne des dialogues - soit sur haut parleurs, pour que toute l'équipe, et parfois même les acteurs, s'imprègnent de l'atmosphère recherchée. C est un avantage considérable. C est un peu comme une boussole qui vous indique constamment la bonne direction à suivre. le fonctionne de la même façon avec les chansons. Lorsque j'en entends une qui me plaît, je la mets de côté en attendant de trouver le film dans lequel je pourrai l'utiliser. Par exemple, il y avait cette chanson de This Mortal Coil, Song to the Siren, que j'aimais depuis longtemps. Je voulais l'utiliser dans Blue Velvet, mais je me suis rendu compte que ce n'était pas adapté à ce film. Alors j'ai attendu. Et quand j'ai commencé à travailler sur Lost Highway, j'ai senti que, cette fois, je pouvais l'utiliser. Il y a tout un tas de chansons, comme ça, qui ont une vraie signification pour moi et que j'ai mises de côté en attendant qu'elles trouvent leur place dans un de mes films.

UN ACTEUR EST COMME UN INSTRUMENT DE MUSIQUE

Trouver un acteur qui corresponde à un rôle précis n'est pas difficile. Souvent, c'est même une évidence. Ce qui est plus complexe, c'est de choisir le bon acteur. Ce que j'entends par là, c'est que, pour un rôle donné, il y a sans doute cinq ou six acteurs capables de faire une excellente prestation. Mais chacun vous offrira un résultat différent. A nouveau, c'est comme en musique vous pouvez choisir de jouer le même morceau avec une clarinette ou une trompette. Les deux peuvent vous donner quelque chose de merveilleux, mais l'effet est à chaque fois différent. Et c'est à vous de décider lequel est bon pour le film. Ensuite, je crois que le secret pour obtenir le meilleur des acteurs est de créer l'atmosphère la plus confortable possible sur le plateau. Il faut donner aux acteurs tout ce dont ils ont besoin, parce qu'après tout, ce sont eux qui accomplissent le plus grand sacrifice. Ce sont eux qui doivent s'abandonner à un personnage, ce sont eux qui sont devant la caméra et qui ont le plus à perdre. Et même s'ils éprouvent du plaisir à le faire, ils n'en sont pas moins terrifiés, et c'est pourquoi il faut qu'ils se sentent en sécurité. Je ne cherche jamais à les piéger ou à les torturer. Je ne crie jamais - enfin, si, parfois, par frustration, mais jamais de façon intentionnelle, jamais parce que je pense que ça aidera la scène. Il faut parler énormément avec eux, jusqu'à ce que l'on voie avec certitude que l'on avance sur le même rail. Et une fois que tout le monde est sur la même longueur d'onde et cherche à atteindre la même chose, alors, le moindre mot, le moindre murmure et le moindre geste sortiront d'eux naturellement, et parfaitement. Les répétitions avant le film sont une bonne chose, elles servent surtout à trouver le bon ton. Mais il faut faire très attention à ne pas aller trop loin. Personnellement, j'ai toujours peur, en faisant ça, de perdre la fraîcheur de la scène ou de gâcher un moment de magie qui pourrait survenir et ne plus se reproduire par la suite.

ACCEPTER SES OBSESSIONS

Personne n aime se répéter et personne D'a envie de toujours faire la même chose. Mais en même temps, chacun a des goûts qui lui sont propres, qui sont plus ou moins prononcés, et dont il est plus ou moins esclave. Je crois que c est quelque chose qu'il faut accepter, sans pour autant se laisser enfermer dedans. Tout metteur en scène évolue, mais c est souvent un processus qui prend beaucoup de temps, et je crois que ça ne sert à rien de forcer les choses. Il est clair que j'aime un type d'histoires bien particulier, un type de personnages bien particulier, que j'ai des tics ou des obsessions bien particulières qui reviennent à chaque fois. Par exemple, j'ai une fascination pour tout ce qui est texture, c est pourquoi il y a des choses qui reviennent souvent dans mes films, comme le rideau en velours, qui était dans Blue Velvet, Twin Peaks et Lost Highway. Mais ce n'est jamais quelque chose de réfléchi ou d'intentionnel. Je le réalise après, jamais avant. Et je pense qu'il n'est pas nécessaire de se creuser la tête à ce sujet, parce qu'au bout du compte, on n y peut rien. On ne peut s'attaquer à un su jet, à des personnages, etc., que si l'on est vraiment amoureux d'eux. C'est comme avec une femme. Or, certains hommes n'aiment que les blondes et refuseront, consciemment ou non, d'avoir des relations avec des brunes. Jusqu'au jour où ils rencontreront une brune pour laquelle ils auront le coup de foudre et qui changera tout. Je crois que c'est pareil au cinéma. Les choix du metteur en scène relèvent du même niveau obsessionnel. Et ça n'est pas quelque chose qu'il faut chercher à éviter, mais plutôt à accepter, et même à explorer.

LE SECRET D'UN BEAU TRAVELLING

Chaque metteur en scène a également des tics ou des penchants très spécifiques sur le plan technique. Par exemple, j'aime bien jouer sur les contrastes, j'aime bien tourner avec des objectifs qui me donnent une grande largeur de champ, et j'aime bien les gros plans très très rapprochés, comme celui de l'allumette dans Wild at Heart. Mais tout ça n'a rien de systématique. En revanche, j'ai une façon très particulière de faire des travellings. C'est une méthode que j'ai expérimentée sur Eraserhead et que, depuis, j'utilise à chaque fois. Elle consiste à charger le chariot d'un travelling avec toutes sortes de poids et de sacs de sable, jusqu'à ce qu'on ait l'impression qu'il pèse trois tonnes. Il faut donc plusieurs personnes pour pousser le chariot, et il se met en route très très lentement, comme une locomotive qui démarre. Au bout d'un moment, il prend de la vitesse et là, au contraire, il faut déployer toute son énergie pour le retenir. Il faut quasiment le tirer en arrière de toutes ses forces. L'intérêt de cette méthode, c'est qu'elle donne au travelling une grâce et une fluidité incroyables. C'est quelque chose de très majestueux et de très fort. Je crois que le travelling le plus réussi de tous mes films, c'était dans Elephant Man, lorsque Anthony Hopkins découvre pour la première fois l'homme-éléphant et que l'on s'approche de son visage pour voir sa réaction. Techniquement, c'était très réussi, mais en plus de ça, juste au moment où la caméra s'est arrêtée devant son visage, Anthony Hopkins a laissé échapper une larme. Ça n'était pas prévu. C'est un de ces moments magiques qui arrivent. C'était la première prise, mais vu ce qui s'est passé, je n'ai même pas essayé d'en tourner une autre.

RESTER MAITRE DE SON FILM

Comme mes films ont souvent tendance à surprendre ou à choquer, on me demande parfois si c'est une erreur de vouloir plaire au public. En fait, je pense que non - à partir du moment où vous ne le faites pas au détriment de votre propre plaisir et de votre vision. De toute façon, il est quasiment impossible de plaire à tout le monde. Steven Spielberg est un réalisateur qui a beaucoup de chance, parce que ses films plaisent au public et qu'il est évident qu'ils lui plaisent à lui aussi. Mais si vous essayez de séduire les spectateurs et que, pour cela, vous finissez par faire un film qui ne vous plaît pas, alors vous courez au désastre. C'est pourquoi je pense qu'il est totalement absurde qu'un metteur en scène, qui croit un minimum à ce qu'il fait, tourne un film sur lequel il n'a pas droit au montage final. Il y a trop de décisions vitales à prendre, et c'est le metteur en scène qui doit les assumer, pas un groupe de personnes qui n'ont aucun investissement émotionnel dans le film. Mon conseil final à tout futur metteur en scène, ce serait donc celui-ci: il faut rester maître de son film, du début à la fin. Et mieux vaut ne pas faire de film du tout que d'accepter de reléguer le pouvoir de décision finale. Parce que si vous le faites, vous en souffrirez énormément. Je le sais pour l'avoir vécu j'ai tourné Dune sans avoir droit au montage final, et cette expérience m'a tellement traumatisé que j'ai mis trois ans avant de pouvoir m'attaquer à un autre film. Aujourd'hui encore, je ne m'en suis toujours pas remis. C'est comme une blessure qui refuse de se refermer.»


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© Mike Hartmann
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