The City of Absurdity The Straight Story
Reviews

La nuit étoilée de David Lynch

Une histoire vraie. Le film le plus lisible et le plus épuré du réalisateur américain

par Samuel Blumenfeld,
Le Monde du 23-24 mai 1999

Tout est dit dans le titre original du film de David Lynch, The Straight Story : en français, une histoire rectiligne. Une histoire qui avance tout droit, comme le tracteur de jardin sur lequel s'est installé Alvin Straight pour parcourir les 700 kilomètres qui séparent Laurens, le village de l'Iowa où il réside, de Mount Zion, dans le Wisconsin, où il décide rejoindre son frère Lyle, victime d'une attaque et auquel il n'a plus parlé depuis dix ans.

Alvin Straight regardait autrefois les étoiles avec son frère. Vieux et malade, il est aujourd'hui au bout du rouleau. « Le pire dans la vieillesse c'est de se souvenir quand on était jeune », avoue-t-il. L'homme va donc traverser, à la vitesse de 7 km/h, tout un morceau d'Amérique et s'échouer dans une ville au nom de terre promise. The Straight Story est aussi une histoire vraie. En 1994, le septuagénaire Alvin Straight avait rejoint le Wisconsin à bord d'un tracteur, faute de permis de conduire, pour se réconcilier avec son frère mourant. Le vieillard est mort en 1996. Une histoire vraie lui est dédié.
Le cinéma de Lynch s'est toujours joué, à l'exception peut-être de Dune et d'Elephant Man, de la linéarité. Avec Une histoire vraie, le cinéaste a réalisé son film le plus lisible, le plus épuré, avec tous les défauts que peut parfois comporter une telle épure, c'est-à-dire le creux. Blue Velvet et Wild at Heart racontaient le passage de l'adolescence à l'âge adulte à travers une initiation qui frôlait la démence. La simplicité d'Une histoire vraie, son goût pour le silence et la méditation, sa description de la vieillesse, le rapprochent de The Long Voyage Home de John Ford, le cinéaste qui semblait pourtant le plus aux antipodes de Lynch.

NORMALITÉ SUSPECTE

Le film débute dans une atmosphère comparable à Blue Velvet. Une vieille dame pose son énorme corps sur une chaise longue et se prépare à bronzer, pendant qu'Alvin Straight tombe dans sa salle à manger et reste inerte. Cette atmosphère claustrophobique, renforcée par des personnages à la normalité soudain suspecte, est devenue une des marques de fabrique de Lynch, dont l'univers ne semble jamais aussi étrange que lorsqu'il se complaît dans la normalité. Cette fois, le personnage principal du film est ouvertement désigné comme fou. C'est le terme qu'emploie le garagiste qui vend son tracteur de jardin à Alvin, mais cette folie toute relative semble assurer la limpidité d'un récit picaresque, tourné uniquement en extérieurs. Si la dimension mélancolique de l'odyssée d'Alvin Straight s'apparente à une lente descente vers la mort, Une histoire vraie ressemble aussi à l'étalage de l'univers d'un réalisateur qui livrerait un dernier adieu. Une automobiliste hystérique qui en est à son treizième daim écrasé en sept semaines, une forêt peuplée d'animaux en plastique où Alvin s'installe l'espace d'un soir, des jumeaux mécaniciens qui passent plus de temps à se chamailler qu'à travailler, sortent tous d'un quelconque épisode de Twin Peaks mais disparaissent aussitôt vus.

Une histoire vraie multiplie des moments qu'on n'aurait jamais cru pensables chez Lynch. La scène où Alvin se remémore avec un autre ancien combattant ses souvenirs de la seconde guerre mondiale, son récit du drame de sa fille (Sissy Spacek lui donne un visage inoubliable), privée de la garde de ses enfants, demeurent autant de moments très réussis qui marquent les retrouvailles de Lynch avec une communauté d'individus, loin de son goût de la caricature. Une histoire vraie est autant un film de maturité que de transition. Comme Alvin Straight au bout de son voyage, David Lynch tend vers une image pure et lisse, celle d'une nuit étoilée dominée par le silence. On voudrait savoir ce qu'elle cache, mais cette histoire vraie est aussi une histoire simple, parfois émouvante et belle, mais parfois beaucoup trop simple.

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© Mike Hartmann
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